Disparitions


NONTERRE (1970-1972) XIX

Les morts meurent encore : et en eux
les vivants. Tout l'espace,
et les yeux pourchassés
par des objets fragiles, réduits
à leur usage.
Respirer est accepter 
ce manque d'air, le souffle unique,
recherché dans les fissures
de la mémoire, dans l'écart qui sépare
cette langue de dissensions, sans laquelle la terre
aurait considéré sous de meilleurs auspices
l'aplanissement des vergers
de pierre. Même le silence 
ne me traque pas.

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MURALES (1971-1975) INTERIEUR (dernière strophe)

Dans l'impossibilité des mots,
dans le mot imprononcé
qui asphyxie,
je me trouve.

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DANS LA TOURMENTE (1978-1979) CREDO

L'infini

choses infimes. Une fois seulement respirer
dans la lumière de l'infini

choses infimes
qui nous entourent. Ou bien
rien ne peut échapper

au piège de cette obscurité, l'oeil
découvrira que nous sommes
seulement ce qui nous a faits moins
que nous sommes. Ne rien dire. Dire :
nos vies mêmes

en dépendent.

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DANS LA TOURMENTE (1978-1979) EN MEMOIRE DE MOI

Simplement m'être arrêté.

Comme si je pouvais commencer
là où ma voix s'est arrêtée, moi-même
le son d'un mot

que je ne peux prononcer.

Tant de silence
à faire naître
dans cette chair pensive, battement
de tambour des mots
au-dedans, tant de mots

perdus dans le vaste monde
au-dedans de moi, et de ce fait avoir compris
que malgré moi

je suis là.

Comme si c'était le monde.

[Paul Auster, Disparitions]

 

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