Gruh.

 De la capacité de France Telecon à interférer dans une réflexion visant à construire une démarche artistique cohérente

 

    Sortant d'une rencontre avec un chorégraphe de la compagnie Black Blanc Beur, je cheminais en poursuivant une idée qui me trottait en tête depuis un moment. Ce chorégraphe parlait de sa démarche artistique, et du fait que la compagnie était en perpétuelle recherche d'identité et ne répétait jamais la même démarche pour éviter de se dégoûter d'elle-même, ce qui scellerait sa tombe. Une question me titillait alors. Si cette recherche d'identité aboutissait ? Si, au bout de maintes expérimentations, les artistes pouvaient prétendre s'être trouvés, être en mesure de pouvoir se définir sans faille ? Ne seraient-ils pas tout autant voués à disparaître ? L'objectif premier étant atteint (recherche de l'identité, réussir à se définir par sa pratique artistique), alors la pratique artistique n'aurait plus de raison d'être, non ? Idée assez déroutante dans l'absolu. Subsister et se construire en poursuivant un idéal qui mènerait à la mort de la création. Je pense que dans l'optique du chorégraphe, cette perpétuelle remise en question sert de moteur, d'idéal. On tend vers un idéal, on ne l'atteint pas. Si on l'atteint, le monde devient sans doute très ennuyeux et on se tire une balle par un beau matin idéal. Alors on erre sans fin, à la recherche de soi-même, sachant très bien qu'on ne se trouvera jamais. Et que même si on croyait se connaître intimement, le contexte social, politique, environnemental et que sais-je encore nous amenait à changer, à réagir, à nous adapter, à prendre position, donc à affiner notre identité. Preuve donc que l'on ne se connaissait pas à 100% puisqu'on n'était pas construit, une production finalisée capable de dresser un inventaire de manières de réagir dans tous les contextes possibles sans fabuler un minimum. Preuve qu'on n'a pas assez vécu tant qu'on n'a pas tout vécu. Ce qui est bien sur inapplicable et qui fait donc de cette optique un idéal. La somme d'expériences d'une vie moyenne ne permettant pas de se connaître dans toutes les situations et les contextes possibles. CQFD. Si je m'écrase en avion dans les Andes, qui me dit que je ne réviserais pas mon jugement sur les bébés congelés et leur comestibilité ?

Bref, j'en étais rendu à l'idée de se poursuivre, abandonnant toute idée de finalité, d'objectif concret à atteindre avec preuve à l'appui, comme par exemple le certificat d'état "Certificat de connaissance de soi et masturbation intellectuelle". Ce faisant, j'ouvrais ma boîte aux lettres. Toutes ces considérations apparaissent comme fumeuses et pompeuses, d'une part parce que je m'exprime comme une quiche, assujetti à la reine des quiches. D'autre part parce que je suis furieux et que j'ai perdu le fil de ma pensée avant d'écrire à cause d'une lettre de France Telecon.

J'ouvre l'enveloppe, m'attendant à une première facture. Non.

"Objet : Votre demande de souscription à une offre de France Telecon"

Déjà, première nouvelle, résumée dans le possessif "votre". J'ai fait une demande, et une seule, quand j'ai ouvert ma ligne téléphonique. C'est qu'on ne m'attribue pas d'autre demande sous prétexte que j'ai filé un RIB. Visiblement, nous nous sommes mal entendus. Ben ouais, le téléphone, ça nique les tympans et les neurones, hein.

"Madame, monsieur,

J'ai le plaisir de vous confirmer que nous avons bien enregistré votre souscription à l'offre Atout."

Madame, monsieur,

J'ai le plaisir de t'affirmer que j'aime pas trop qu'on me mette devant le fait accompli avec plein de crème pour faire joli. J'ai aussi le plaisir de te dire que je n'ai pas signé le moindre papier concernant une quelconque offre, que j'ai au contraire affirmé ma volonté de ne pas prendre autre chose que l'ouverture de ligne. Alors après, y'en a qui ont des amis imaginaires, d'autres qui inventent des souscriptions imaginaires quand on leur donne un RIB. Soit. Je reste calme, mais je te sens nerveux.

"Les caractéristiques de l'offre ainsi que l'offre ainsi que la date de mise en œuvre vous sont précisées au verso de ce courrier."

Au verso, j'apprends donc que cette offre me sera facturée dans 2 jours, et que le temps d'envoyer un courrier pour la résiliation, la facture sera partie. En surimpression, je cherche un filigrane qui dit "ha ha, owned", mais point de trace. Je suis un peu déçu. La pilule serait mieux passée avec une touche d'humour.

Bon alors. Récapitulons. J'avais une idée intéressante à creuser pour me pencher sur une ébauche de début de mémoire, et là j'écris un truc de merde parce qu'on me prend pour la banque de France dès que je donne un RIB, même si je répète pendant 10 minutes à chaque fois que je ne veux d'aucune offre gratuite les premiers fois puis facturée (quoique là, facturée d'entrée, youpi).

On va me répondre : welcome in the real world. Pas faux, j'étais au courant, c'est pas la première fois. Si je passe du temps avec le conseiller, c'est pour bien qu'il comprenne que je ne veux pas et ne peux pas me payer tous les trucs qu'il fourgue à la ménagère de 50 ans. Partant de ce postulat, il ne me reste pas 36 solutions.

Soit les conseillers sont mentalement déficients, soit ce sont des escrocs, ou les deux. Ou sinon, ce que je tends à penser, c'est que la décision vient de plus haut. Que le coup de "mes excuses monsieur pour cette regrettable erreur", on le fait à tout le monde. Bon, dit comme ça, on va se dire que je n'ai pas inventé la poudre et l'eau chaude. Je reconnais n'avoir inventé ni l'un ni l'autre. Mais ce que cela implique, c'est une dimension extrêmement frustrante. Je n'ai personne sur qui me défouler, n'ayant pas accès au grand manitou de France Telecon dans mon agence. Je pense donc le faire indirectement. Dire clairement au conseiller que je sais que ce n'est pas sa faute s'il a un boulot de merde où il est payé pour se faire gueuler dessus parce que la politique du patron, c'est de pousser à la consommation à outrance. Et remonter autant que possible dans la hiérarchie, voir au moins le directeur de l'agence. Histoire de garder le côté thérapeutique et ludique de la chose. Au programme des réjouissances, un petit scandale en bonne et due forme, et deux lettres. Une "régulière", pour que ma résiliation prenne effet (puisqu'il faut jouer le jeu, jouons-le… comme si on avait le choix). La seconde, un contrat engageant la personne que j'aurais en vis-à-vis à veiller à ce que l'on ne me souscrive pas d'offre bidon que je n'aurais pas demandé, sous peine de reconnaître publiquement travailler dans le secteur de l'escroquerie, comme certains font de l'immobilier. Quoique eux sont pas mal placés aussi. Mais je m'égare. Qu'y a t-il à gagner à signer un tel contrat ? Rien. Je l'imposerai, comme on m'impose une offre nommée "Atout". Si se faire arnaquer, c'est un atout, alors mon contrat est franchement pas mal alléchant. Non mais. J'espère bien voir son visage se décomposer à la lecture de cette lettre. Je suis un animal qui mange des opérateurs congelés sans remords, même si j'ai aussi des steaks hachés au congèl'. Mes plus glaciales salutations.

 
 

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