"Apprenez à vous perdre"
- Putain... je vais
mourir là... à
moins que ce ne soit le reste qui meure. Y-a-t-il des deuils plus
faciles à
faire que d'autres ? Y-a-t-il des deuils impossibles ? Deuils
contre-nature.
Deuils contresens. Deuils sans cadavres.
- Surtout, c'est déjà
tellement
difficile de vivre l'absence... C'est encore plus dur de se
dire qu'il n'y
aura plus de projets. Non ?
[...]
- Mais ? Comment
avez-vous vu ?
- Il y a un puits au
fond de nous.
Si on s'accroupit au fond de ce puits, on peut voir...
[...]
Apprenez à vous perdre.
Vous
cesserez de vous demander où vous êtes. Et ainsi vous n'aurez plus
jamais la
sensation d'être perdu...
[...]
Au bout d'un moment, on
est
tellement dans la course, rythme et souffle parfaits, muscles chauds,
que le
sol semble alors ne plus exister. La course se fait seule, hors de soi.
On peut
même avoir la sensation de voler. Il n'y a plus que l'esprit.
[...]
J'étais heureux.
Et puis un jour,
soudainement, je
fus pris de panique. Face à tout ce que j'avais appris et qui m'avait
construit, je fus pris de panique ! Ne suis je que cela face à la
diversité et
toute la richesse du monde ? Vais-je mourir sans tout connaître de ce
qui
pourrait m'intéresser ? Plutôt que de m'appuyer sur les trésors qui
étaient
déjà en moi, je me mis en quête de tout ce qui semblait alors
m'échapper... Je
parcourus le monde frénétiquement... Aucun pays ne devait m'échapper.
Aucun
apprentissage... Je voulus connaître toutes les musiques, comprendre
tous les
arts. Je tentais de me démultiplier en dix pour apprendre toutes les
langues,
connaître à fond toutes les cultures. Plus je m'épuisais, plus je
comprenais
que ce qui m'échappait était vaste... Et plus je tentais de redoubler
d'énergie
dans cette course effrénée. J'en oubliais alors l'essentiel. A force de
courir
partout après cet ailleurs, j'en oubliais le monde qui était en moi...
Un jour,
je me suis écroulé, épuisé... dispersé... je me suis fui. Par peur de
ne pas
tout connaître avant de mourir, j'aurais pu disparaître sans me
connaître.
[...]
- A votre avis c'est
quoi le plus
dur ? Savoir aimer sa copine ? Savoir aimer ses enfants ? Ou savoir
aimer ses
amis ?
- T'as de ces questions
!
- Le plus dur, c'est
d'accepter
d'aimer dans tous les cas. Même en sachant que ça va être de toutes
façons
difficile, qu'il va y avoir des coups durs, des déceptions, des
erreurs. C'est
ça qui est dur, être prêt à aimer quand même.
- En fait, t'es un
philosophe, toi.
- Fous-toi de ma gueule
!
[...]
Courir jusqu'où ? Il y a
la
tentation d'aller voir où se trouve la limite. La franchir pour
s'assurer qu'on
l'a bien trouvée. Sentir le moment où ça bascule et comprendre alors
qu'on est
allé trop loin.
Il y a un moment où il
faut savoir
s'arrêter.
[Philippe
Dupuy, Hanté]
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